Les archéologues ont dans leur mission le devoir de garder la mémoire du passé. Et cela peut leur valoir, de temps à autre, de ne pas plaire à tout le monde. C’est ainsi qu’au début du mois, une archéologue turque de 92 ans, Muazzez Ilmiye Cig, une spécialiste reconnue des civilisations hittite et sumérienne, a failli être condamnée dans son pays pour insulte et provocation à la haine raciale et religieuse. Son crime: un commentaire historique sur le port du voile dans la société musulmane. Il apparaît, à la lecture des tablettes cunéiformes en terre cuite, que le foulard était porté à Sumer, il y 5000 ans, pour distinguer des femmes mi-prêtresse, mi-prostituée qui dans des temples se consacraient à l’éducation sexuelle des jeunes gens, ce qui justifiait, pour la spécialiste, son refus de porter le voile. Un avocat, qui ne pouvait admettre cette troublante vérité, décida de porter plainte. Heureusement pour Mme Cig, qui risquait jusqu’à trois ans de prison, le procureur chargé de l’affaire n’a pas reconnu le délit et les juges l’ont acquittée.

Inanna
Inanna

L’archéologue doit observer des faits pour en tirer des conclusions. Il apparaît également que rien n’est plus ambigu qu’un mot, et que parfois, rien ne vaut une image. J’aurais donc aimé illustrer mon propos par la représentation d’une sumérienne voilée. Or si les textes utilisés par Mme Cig pour asseoir son discours parlent, dit-elle, dans le sens de son interprétation, rien ne permet, sur une base iconographique de confirmer ses dires. Traduttore, traditore, comme disent les italiens. Comment, sans illustration interpréter le sens exact d’un mot issu d’une langue morte ? Je sais, en tant que céramologue, comme il est difficile de lier de manière univoque une forme de poterie à son nom grec ou latin, et cela malgré la lecture des textes. Les représentations que l’on trouve de la déesse Inanna, déesse de l’amour chez les Sumériens, que les prostituées sacrées devaient symboliquement incarner, ne portent jamais le voile, mais une coiffe caractéristique. Quel est le nom sumérien de cette coiffe ? Pourrait-elle être traduite par le mot voile?